Droit spatial européen : enjeux et défis d’une réglementation spatiale de l’UE harmonisée


Droit spatial, Politique spatiale / samedi, janvier 6th, 2024

L’espace est omniprésent dans nos sociétés et les récentes crises ont mis en lumière l’impératif pour les États d’assurer leur indépendance et leur autonomie dans le domaine spatial. La Stratégie Spatiale de Défense et de Sécurité (2023), de l’Union européenne a réaffirmé la nature stratégique de l’espace ainsi que la nécessité de création d’un cadre réglementaire harmonisé à l’échelle de l’UE pour accroître collectivement la résilience des systèmes spatiaux. Au cours de son discours sur l’état de l’Union, la présidente de la Commission européenne a exprimé l’intention de créer un Droit Spatial européen (EU Space Law). Outil de la politique spatiale de l’UE, la loi spatiale européenne doit permettre de répondre aux enjeux et aux menaces actuelles en créant des règles communes de sûreté, de sécurité et de durabilité. Néanmoins, cette harmonisation se confronte à une problématique juridique importante, celle de la compétence de l’UE dans le domaine spatial.

droit spatial européen

Une politique spatiale européenne de plus en plus ambitieuse

Avec l’évolution du New Space et la multiplication des crises, l’UE a dû définir en 2021 une nouvelle politique spatiale 2021-2027 plus ambitieuse. Dotée d’un budget de 14,9 milliards d’euros, celle-ci répond à divers enjeux :

  • Données spatiales : Fournir des données de qualité, susceptibles de soutenir les priorités de l’UE, notamment dans les domaines du changement climatique, des transports et de la sécurité ;
  • Economique : Maximiser les avantages socio-économiques, en particulier en encourageant le développement de secteurs européens innovants et compétitifs en amont et en aval, notamment les PME et les start-up et, partant, en favorisant la croissance et la création d’emplois dans l’Union ;
  • Sureté et sécurité : Renforcer la sûreté et la sécurité de l’Union et de ses États membres ainsi que l’autonomie stratégique de l’Union, en particulier sur le plan de la technologie ;
  • Diplomatie : Renforcer la diplomatie spatiale européenne ;
  • Durabilité : Renforcer la sûreté, la sécurité et la viabilité de toutes les activités menées dans l’espace extra-atmosphérique en ce qui concerne la prolifération des objets spatiaux et des débris spatiaux.

L’UE en a aussi profité pour créer la même année, la nouvelle Agence de l’Union européenne pour le programme spatial (EUSPA), succédant à l’Autorité de surveillance du GNSS européen créé en 2004. Celle-ci a pour mission de mener à bien les programmes spatiaux de l’UE, parmi lesquels on retrouve Copernicus, Galileo et EGNOS, mais aussi des nouveautés comme :

  • le programme « surveillance de l’espace » (SSA), qui permet de surveiller les dangers de l’espace
  • l’initiative de télécommunications gouvernementales par satellite (Govsatcom), qui fournit aux autorités nationales un accès à des télécommunications par satellite sécurisées

Malgré sa politique spatiale ambitieuse, l’absence de réglementation européenne harmonisée permettant de répondre aux nouveaux défis fait profondément défaut. C’est dans ce cadre que s’inscrit la création de l’UE Space Law qui vise à répondre à des enjeux réels et supprimer les obstacles au sein du marché unique causé par l’absence de législation unique.

L’absence de réglementation européenne pour répondre aux défis des activités spatiales

Au sein de l’Union européenne, il n’existe aucun cadre juridique européen harmonisé relatif aux activités spatiales. Pourtant, les Etats membres appliquent concomitamment des normes internationales et nationales.

Au niveau international, le traité sur l’espace extra-atmosphérique de 1967 est le principal fondement juridique en matière de droit spatial. Presque tous les Etats de l’UE (sauf la Lettonie) sont parties signataires de ce traité. Mais ce n’est pas le cas de l’Union européenne en tant qu’entité juridique. Néanmoins, dans une déclaration de 2021 devant le Bureau des affaires spatiales des Nations unies, l’UE affirmait que  » le traité sur l’espace extra-atmosphérique de 1967 et d’autres traités des Nations Unies sur l’espace constituent la pierre angulaire du droit international de l’espace. » En ajoutant que « En tant qu’acteur responsable du spatial, l’Union européenne envisage de prendre des mesures vers l’acceptation des droits et obligations contenus dans les traités pertinents de l’ONU sur l’espace.« 

Au niveau national il existe aujourd’hui onze législations différentes au sein des Etats membres, dont la Loi française du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales. Cette situation complique la lecture du paysage juridique européen en matière de droit spatial et appelle à une harmonisation. 

Au niveau européen, le Traité de Lisbonne de 2007 fait de l’espace une compétence partagée entre l’UE et les Etats. Le spatial est présent dans seulement deux articles, l’article 4 et l’article 189 du TFUE :

  • L’article 4 prévoit que dans le domaine de l’espace, l’Union dispose d’une compétence pour mener des actions, notamment pour définir et mettre en œuvre des programmes, sans que l’exercice de cette compétence ne puisse avoir pour effet d’empêcher les États membres d’exercer la leur.
  • L’article 189 va encore plus loin et donne à l’UE le pouvoir d’élaborer une politique spatiale européenne et de prendre des mesures pour la mettre en œuvre sous la forme d’un programme spatial européen.

Néanmoins, malgré cette compétence partagée, il n’existe aucun cadre juridique européen relatif au droit spatial alors même que l’espace est présent dans des pans entiers de la société et que les défis auxquels les activités spatiales sont confrontés ne cessent de garantir. Parmi eux, l’utilisation durable de l’espace (pilier durabilité), la limitation des débris spatiaux (pilier sécurité) ou encore de la militarisation de l’espace (pilier résilience).

Sûreté du trafic spatial

La saturation de l’espace du fait de l’augmentation du trafic spatial et des débris spatiaux. Le risque de collisions en orbite entre satellites ou débris est grandissant et le nombre de satellites actifs en orbite a progressé de 44% entre 2021 et 2022.  Cette dynamique peut avoir des conséquences graves au fil du temps sur l’accès à l’espace, l’utilisation des services spatiaux, l’observation spatiale, l’économie, la sécurité et l’industrie. À cet effet, l’UE Space Law entend encadrer le trafic spatial en mettant en place des règles visant à limiter les risques de collisions. En 2022 déjà le Parlement européen publiait une résolution sur « une approche de l’UE en matière de gestion du trafic spatial ». Celle-ci présentait des mesures visant à faire de la gestion du trafic spatial un défi mondial de l’action publique, parmi lesquelles la promotion des aspects législatifs et de normalisation au moyen d’une action réglementaire contraignante et non contraignante, afin de rendre les activités et opérations spatiales plus sûres, plus résiliantes et plus viables.

Menaces aux activités spatiales

Au-delà des débris, les menaces en orbite sont aussi de plus en plus nombreuses. Parmi elles, les cyberattaques ou les essais antisatellites sont les plus connues. Or, il n’existe pas à l’heure actuelle de cadre de coordination et de notification des incidents à l’échelle de l’UE. À cet effet, la loi spatiale européenne prévoit de mettre en œuvre un régime spécifique à l’espace en matière de cybersécurité. Celle-ci devrait donc permettre de mieux protéger les activités spatiales des Etats membres de l’UE, notamment grâce à une meilleure coordination. Et d’accroître le niveau collectif de résilience des systèmes et services spatiaux.

Durabilité des activités spatiales

L’UE déplore aussi une absence de cadre pour surveiller et mesurer de manière systémique l’impact environnemental des activités spatiales. Ce constat est d’autant plus problématique qu’il ne permet pas aux entreprises de se conformer pleinement aux exigences en matière de durabilité. 

Le volet protection de l’environnement de la loi permettra d’encourager les activités spatiales viables afin de réduire les risques environnementaux dans l’espace, notamment liés aux débris spatiaux. Cela permettra aussi de garantir un accès à long terme à l’espace à tous les pays de l’UE, y compris ceux qui n’y ont encore pas accès. Cet objectif suit le principe essentiel de la liberté d’exploration et d’utilisation de l’espace, établi par le traité de l’espace de 1967.

Les règles de droit international en matière de durabilité des activités spatiales ne sont pas suffisantes par rapport aux enjeux. En effet, le Bureau des Affaires Spatiales de l’ONU a publié en 2007 des lignes directrices en matière de réduction des débris spatiaux et en 2019 des directives en matière de durabilité à long terme des activités spatiales. Mais ces textes restent insuffisants étant donné l’absence d’effet contraignant sur les Etats.

L’adoption d’un droit spatial européen permettrait de créer au sein de l’Union des règles contraignantes en ce qui concerne les débris spatiaux et la durabilité des activités spatiales et servirait aussi d’exemple pour la création de normes internationales.

Un marché unique européen fragmenté

Le marché unique européen dans le domaine spatial est fragmenté. En effet, les 11 différentes législations nationales prévoient des exigences divergentes. Et les effets sont importants puisque cela créé des perturbations du marché, limite la libre circulation des services et des biens et nuit à la compétitivité de la recherche spatiale de l’UE et de l’industrie spatiale de l’UE (y compris au niveau mondial). Au niveau économique, cette loi aura donc un impact positif puisqu’elle créera des conditions de concurrences égales. Un cadre commun, permettra de donner une sécurité juridique aux acteurs de l’économie spatiale et d’encourager leurs développements.

Dans une proposition de résolution européenne du 5 décembre 2023, relative à l’adoption de l’UE Space Law, les députés français affirmaient à ce sujet que « Il est ainsi urgent de se doter de règles communes protégeant les acteurs européens sur le marché commercial et favorisant l’émergence de champions européens, notamment en soumettant aux mêmes règles les opérateurs issus d’États tiers et fournissant des services au sein de l’Union.« 

Les défis juridiques de la création d’un droit spatial européen harmonisé

Un fondement juridique incertain

Les fondements juridiques permettent à l’UE de légiférer dans le domaine spatial sont difficiles à trouver. La compétence de l’UE en matière spatiale n’est pas aussi large que dans d’autres domaines, étant donné qu’historiquement l’espace est intrinsèquement lié aux activités militaires et à la souveraineté des Etats. En effet, l’article 4 et 189 du TFUE concernent exclusivement la politique spatiale européenne et ce sont les deux seuls articles à faire référence au spatial dans le TFUE. L’article 189 parle de « mesures nécessaires » pour la réalisation des objectifs dans le domaine spatial. Une interprétation large du texte peut amener à considérer que ces mesures peuvent être des textes réglementaires.

La stricte exclusion d’une harmonisation législative

Mais la réelle difficulté juridique se trouve dans la suite de l’article 189 :

« à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres.« 

Or, c’est bien d’harmonisation dont il est question avec la loi spatiale européenne, qui vise à améliorer les conditions de l’établissement et de fonctionnement du marché unique.

Le marché intérieur comme fondement juridique

Pour pallier à la difficulté du fondement juridique de l’action de l’UE en matière de réglementation spatiale, la Commission européenne dans son appel à contributions fait référence à l’article 114 du TFUE relatif au marché intérieur.

« Sauf si les traités en disposent autrement, les dispositions suivantes s’appliquent pour la réalisation des objectifs énoncés à l’article 26 (marché intérieur). Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, arrêtent les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur.« 

Cet article donne compétence à la commission pour arrêter des mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives des Etats membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Il pourrait servir de base juridique solide pour permettre de créer une législation harmonisée dans le domaine spatial au sein de l’UE. Surtout si les 11 législations nationales déjà existantes créent, du fait de leurs différences, des dysfonctionnements du marché intérieur.

Néanmoins, la stricte exclusion de toute harmonisation dans le domaine spatial par l’article 189 demeure. Juridiquement la loi spatiale européenne est donc un défi majeur qui nécessite une interprétation très large des textes du TFUE. Au delà de l’aspect, juridique, le texte devra veiller à ne pas empiéter sur les prérogatives nationales, notamment en ce qui concerne les activités militaires.

Sources :

Une approche de l’UE en matière de gestion du trafic spatial — Une contribution de l’UE pour faire face à un défi mondial

La politique spatiale européenne : histoire, objectifs, programmes 

Politique spatiale de l’UE

Stratégie spatiale de l’Union Européenne pour la sécurité et la défense

Targeted consultation on EU Space Law

EU Space Law – new rules for safe, resilient and sustainable space activities 

Approaching Harmonization: Examining the European Union’s Efforts to Create a Common EU Space Law and Assessing its Potential Legal Foundations

An EU Space Law on the Horizon: Decoding Legal Foundations and Navigating Policy Frontiers

Les impacts environnementaux du spatial dans le viseur réglementaire de la Commission européenne

Le droit de l’UE dans le domaine de l’espace 

Rapport d’information par la commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale sur l’avenir de l’industrie spatiale européenne 

Inscrivez-vous à notre newsletter gratuite.

Notre newsletter gratuite est envoyée tous les samedi matin.

Une réponse à « Droit spatial européen : enjeux et défis d’une réglementation spatiale de l’UE harmonisée »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *