La destruction par les Etats-Unis d’un ballon de surveillance chinois au début de cette année 2023, révèle l’importance d’une régulation de la très haute altitude (THA) appelée aussi « l’espace proche ». Le flou juridique qui entoure cette zone située entre 20 et 100 km d’altitude en fait un nouveau terrain de tension entre les Etats.
Historiquement inutilisé
La très haute altitude est située entre 20 km et 100 km d’altitude, autrement dit entre l’espace aérien où les avions volent traditionnellement et l’orbite terrestre où sont placés les satellites. Les appareils conventionnelles, civiles ou militaires ne sont pas conçu pour voler à une telle altitude et la gravité y est encore trop importante, pour y placer des satellites.
Historiquement, la très haute altitude reste donc un endroit très peu utilisé et difficile d’accès, même s’il existe des appareils qui ont été développés spécialement pour s’y aventurer. Le Lockheed U-2 en est le parfait exemple puisqu’il volait à près de 21 km et a servi, notamment pendant la guerre froide, à surveiller les territoires soviétiques avant d’être abattu en 1960. Grâce aux progrès technologiques, l’utilisation de la très haute altitude s’accroît considérablement, notamment avec des drones militaires, mais aussi des ballons stratosphériques.
L’intérêt stratégique de la très haute altitude
Depuis quelques années, l’intérêt des Etats pour cette zone ne cesse d’augmenter. Déjà en 2018, l’armée nationale chinoise décrivait la très haute altitude comme
« un nouveau champ de bataille dans la guerre moderne et un élément important du système de sécurité nationale« .
Des engins tels que des ballons de surveillance stratosphériques ou des drones planeurs sont déjà capable de voler pendant des jours à cette altitude. Le drone Zéphyr » d’Airbus a d’ailleurs qui devrait être mis en service en 2024 peut voler à 21 km d’altitude pendant 64 jours. Du côté de l’Union européenne, le projet EuroHAPS prévoit de développer des dirigeables et ballons stratosphériques à très haute altitude.
Un flou juridique
Le droit international prévoit des normes juridiques pour le droit aérien et le droit spatial, mais il est difficile à dire si la très haute altitude rentre dans le champ d’application de l’un de ces régimes juridiques. En effet, le droit aérien, est régi par la Convention de Chicago sur l’avion civile internationale de 1944 qui reconnaît dans son article 1 que « Les États contractants reconnaissent que chaque État a la souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien au-dessus de son territoire. » Or, une limite à l’espace aérien souverain d’un pays n’est pas prévu par la Convention. On peut alors légitimement se demander si la très haute altitude fait partie de l’espace aérien souverain. Ici, deux visions s’affrontent. La première qui affirme que l’espace aérien d’un pays souverain s’étend jusqu’à l’espace extra-atmosphérique soit à peu près à 100 km d’altitude. Et une seconde vision qui affirme que l’espace aérien d’un pays s’étend aussi haut où l’Etat peut faire respecter sa souveraineté.
Du côté du droit spatial, les traités comme le Traité de l’espace de 1967 qui prévoit une libre utilisation et un libre accès à l’espace ne permettent pas de clarifier le régime juridique de la très haute altitude. En effet, le début de l’espace extra-atmosphérique n’est pas prévu par le droit spatial, par conséquent, il est difficile d’y inclure la très haute altitude. Et ce bien qu’il soit admis d’après la ligne de Karman que l’espace commence à partir de 100 km.
Les activités se déroulant entre 20 et 100 km semblent donc échapper au droit international. Il est donc difficile à dire si les objets y évoluant bénéficient de la liberté si singulière de l’espace extra-atmosphérique, du régime strict de l’aviation ou encore à un régime juridique propre à la très haute altitude. Ainsi, les normes s’appliquant à un objet se trouvant à cette altitude sont difficiles à déterminer. Un tel flou juridique a pour avantage de permettre de mener des opérations militaires de surveillance et de reconnaissance de manière totalement libre. Mais cette liberté pose aussi des problèmes lorsque ce sont des Etats hostiles qui en profitent.
Face à de telles situations, des questions juridiques importantes se posent comme celle d’étendre la souveraineté d’un Etat au-delà de son espace aérien dans la très haute altitude pour permettre l’interception d’un objet. L’augmentation des activités dans cette zone de quasi-non-droit impose à la communauté internationale de construire un cadre réglementaire régissant les activités dans la très haute altitude.
Des propositions de réglementation
L’Association internationale pour l’avancement de la sécurité spatiale a proposé en 2021 un projet de Convention pour la réglementation de l’espace proche. Celle-ci propose de ne pas considérer la très haute altitude comme l’espace aérien d’un pays, ni comme l’espace extra-atmosphérique, d’accorder une certaine liberté de mouvement aux objets dans cette zone (à usage civil ou commercial) mais les y Etats garderaient une pleine compétence pour contrôler ces activités.
Enfin, d’autres ont proposé d’utiliser le régime juridique des Zones économiques exclusives (ZEE) par analogie et donc de considérer la très haute altitude comme un espace d’utilisation exclusive (EUE). Par conséquent, le statut juridique de l’espace proche devrait être distingué de celui de l’espace aérien national et de l’espace extra-atmosphérique. Et selon cette proposition, cette EUE se situerait en dehors de la souveraineté nationale des pays et serait régie par un ensemble de règles de base visant à maximiser son utilisation rentable et durable. Les professeurs Hao Liua and Fabio Tronchettib estiment que l’établissement d’un régime juridique distinct et formalisé contribuerait à clarifier le statut juridique de l’espace proche ; stimuler le développement technologique et les investissements dans le secteur de l’espace proche ; éliminer les obstacles inutiles à l’utilisation internationale de l’espace proche ; mettre en place des conditions de concurrence équitables pour les opérateurs ; permettre au plus grand nombre de pays et d’utilisateurs d’en bénéficier ; et prévenir l’émergence de différends. Cette proposition tente de trouver un équilibre entre les droits de l’État au-dessus duquel un EUE serait établi, les droits des autres Etats concernés, et les intérêts des entités désireuses de fournir des services dans la très haute altitude.
Une doctrine militaire française pour la très haute altitude
Du côté français, l’armée de l’air et de l’espace penche pour la mise en place d’une doctrine militaire visant à répondre aux défis de la très haute altitude. Un rapport sur la protection et l’utilisation de cette nouvelle zone stratégique devrait sortir d’ici juin 2023. Le général Stéphane Mille, le chef d’état-major de l’armée de l’Air & de l’Espace a déclaré que
« Jusqu’à présent, la très haute altitude n’était pas exploitée ou très peu, mais avec la multiplication des projets de ballons atmosphériques, de drones de très haute altitude, de planeurs hypersoniques ou de satellites en orbite basse, il faut ouvrir une réflexion et éviter demain une potentielle lacune capacitaire ».
Au niveau international, aucun consensus ne semble pour l’instant être trouvé étant donné que les Etats préfèrent pour l’instant exploiter ce flou juridique au lieu de créer un cadre juridique stricte et universel qui s’appliquerait à tous les objets se trouvant en très haute altitude.
Sources :
Colloque: Du ciel à l’espace: nouveaux enjeux opérationnels à très haute altitude
IAASS Convention pour la régulation de l’espace proche
Regulating Near-Space Activities: Using the Precedent of the Exclusive Economic Zone as a Model?
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