Militarisation de l’espace : les enjeux à l’ère du New Space


Avenir de l'espace, Droit spatial / lundi, janvier 6th, 2020

À l’ère du New Space la militarisation de l’espace a pris depuis quelques années un nouveau tournant important poussée par les nouveaux enjeux géopolitiques de notre époque, comme en témoigne la création par le président américain du « Space Force« , rejoint par la France avec le commandement de l’espace. Si on est encore très loin de la « guerre des étoiles » dont parlent les médias traditionnels, l’armement spatial présente des intérêts militaires, géopolitiques, stratégiques et de sécurité nationale. Les grandes puissances investissant dans ce domaine réaffirment aussi par la même occasion leur souveraineté nationale, une souveraineté importante dans un contexte international tendu.

La militarisation spatiale : un retour aux sources :

L’utilisation de l’espace à des fins militaires, de défense et de renseignements n’est pas nouveau et a débuté dès les années 50. Dans un contexte tendu de guerre froide, les Américains et les Soviétiques ont été les premiers à se sont doter de satellites espions pour s’espionner mutuellement, afin de rester informé de l’évolution des moyens militaires de chacun. Les activités humaines dans l’espace ont donc dès le départ été menées pour des besoins militaires. C’est seulement dans un second temps que l’intérêt scientifique est apparue.

L’armement spatial a évolué au fil des années et des conflits, notamment avec les guerres au Moyen-Orient. C’est la fin de l’opposition classique de deux blocs distincts, il a fallu alors pour les Américains s’adapter et développer de nouvelles techniques et stratégies militaires spatiales plus propices à ce type de conflits, avec notamment beaucoup d’innovation dans ce domaine.

Les satellites GPS ont eu dès le départ une place importante dans les activités spatiales et l’ouverture de ce système à l’usage civil n’a fait que renforcer la nécessité pour les Etats exploitants ce genre de technologie de mettre en place des protections suffisantes à la hauteur de leur importance. Et cette protection se fait principalement par la surveillance des activités spatiales.

Ainsi, bien loin de la guerre des étoiles, les satellites de communication et les radars placés en orbite autour de la terre restent des outils militaires importants, que ce soit pour des enjeux spatiaux ou terrestres.

C’est dans cette continuité qu’intervient une nouvelle militarisation de l’espace, marqué par un renforcement de l’armement spatial.

Illustration Ben Garrison GRRRGraphics

Le nouveau développement de la militarisation de l’espace :

C’est les Etats-Unis qui ont relancé cette nouvelle militarisation de l’espace avec l’annonce par le président Donald Trump de la création d’une Space Force.

D’après les généraux américains :  » L’US Space Force protégera les intérêts nationaux des États-Unis en se concentrant uniquement sur l’espace. Conformément à notre stratégie de défense nationale, l’US Space Force veillera à ce que nous soyons compétitifs, dissuasifs et gagnants en position de force, en protégeant notre mode de vie et notre sécurité nationale. « 

Ce projet de Space Force est maintenant approuvé par le Congrès américain et cette nouvelle branche sera à terme composé de 16 000 militaires et civils déjà impliqué dans l’US Air Force.

À cette occasion le ministre de la défense américain Mark Esper a justifié ce nouveau coût pour le contribuable américain :

« Notre dépendance envers les équipements dans l’espace a beaucoup augmenté et aujourd’hui, l’espace est devenu un terrain de guerre à part entière ». « Maintenir la domination américaine sur ce théâtre est désormais la mission de la force de l’Espace des États-Unis. »

Le budget de la Space Force américaine sera limité à 40 millions de dollars pour l’année 2020 et servira pour l’instant à la mise en place du projet.

Côté français on investi aussi dans un commandement de l’espace annoncé par le Président Emmanuel Macron. En effet, c’est la ministre des armées Florency Parly qui a officialisé via un arrêté datant du 3 septembre 2019. La création de cette branche de l’armée de l’air qui est placé sous les directives fonctionnelles du chef d’état-major des armées.

Pour remplir à bien ses missions, le commandement se compose de 220 militaires qui prendront place à Toulouse. Mais les effectives seront amenés à augmenter dans les prochaines années. L’armée de l’air quant à lui deviendra par la suite l’armée de l’air et de l’espace.

La ministre des armées Florence Parly a tenu à rappeler l’importance de ce commandement :

« L’espace est un domaine crucial pour le fonctionnement de notre société mais aussi des opérations militaires des armées françaises. Avec la création de ce nouveau commandement, le ministère des Armées traduit en actes les directives stratégiques du Président de la République dans un domaine en pleine mutation où les menaces se multiplient. »

Au total, 3,6 milliards d’euros seront investis dans le commandement de l’espace français étalés de 2019 à 2025. Ce budget servira aussi à renouveler les satellites et outils français pour les opérations militaires spatiales.

La France comme les Etats-Unis face aux menaces émergents de pays comme la Chine ou la Russie ont décidé d’investir dans le spatial, un domaine crucial qui n’est plus négligé par les dirigeants, et ce, pour des bonnes raisons.

Un développement de la militarisation spatiale qui se justifie :

Le développement de la militarisation spatiale est justifié au regard de l’importance vitale de certains satellites ou GPS que ce soit pour des raisons militaires ou civiles. Les grandes puissances mondiales comme les Etats-Unis sont aujourd’hui totalement dépendants de ces systèmes. Des systèmes qui peuvent être détruit par d’autres pays qui ont prouvé leurs capacités dans ce domaine. À l’instar de la Russie qui dispose de missiles antisatellites ou encore très récemment de l’Inde qui en a fait une démonstration en 2019. Si ce genre de missiles terrestres ne peuvent atteindre que des satellites en orbite basse, la Chine a elle affirmée pouvoir très bientôt avoir la capacité de détruire tous satellites, peu importe son l’orbite.

Les missiles antisatellites (ASAT ) en provenance du sol ou d’un avion sont des armes très importants dans le paysage militaire spatial, mais ne sont pas les seuls.

En effet, l’utilisation de technologies de brouillages peuvent être efficaces pour compromettre les communications assurées par un satellite ou encore brouiller les images d’un GPS. À l’instar d’un satellite espion russe qui avait été démasqué par ArianeGroup en 2018 alors qu’il s’approchait d’un satellite de télécommunication franco-italien. Enfin les objets spatiaux ne sont pas immunisés contre les cyber-attaques dont certains pays sont très adeptes.

Au vu de ces menaces et des réponses apportées par les pays en terme d’armement et de militarisation spatial, on peut se demander si les traités internationaux prévoient un cadre juridique pour répondre à ces questions.

L’insuffisance du traité de 1967 :

Le Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes de 1967 interdit de placer dans l’espace des armes nucléaires ou de destruction massive. L’interdiction générale des armes, elle ne concerne que les corps célestes. Il ressort alors que la mise en orbite dans l’espace d’armes autres que nucléaires ou de destruction massive n’est pas prohibée.

Ce traité important à sa signature parait totalement insuffisant à notre époque avec la multiplication des acteurs, le changement des intérêts et l’évolution des technologies spatiales. En effet, les missiles envoyés depuis la terre pour détruire des objets spatiaux sortent du champ d’application de ce traité. Cette subtilité souligne à elle seule l’insuffisance de ce traité signé à une époque bien lointaine.

De plus, ce traité ne fait pas mention des armes par destination. En effet, n’importe quel satellite peut devenir une arme par destination s’il est placé en orbite et envoyé sur un satellite ennemi. L’effet d’une telle arme est aussi destructeur qu’une arme par nature, dans l’espace n’importe quel objet quel que soit sa taille, se déplace à une vitesse suffisante pour détruire ou endommager un autre objet.

En 2008 une proposition d’un nouveau traité avait été faite par la Russie et la Chine afin de créer une nouvelle coopération dans l’espace, mais les Etats-Unis et l’Europe s’étaient montrés réticents face à ce texte qui pourtant proposait d’interdire l’usage et le placement d’armes dans l’espace. Une réticence qui peut s’expliquer par l’existence de relations diplomatiques tendues entre les pays.

Sources :

Ministère de la défense

Space Force

Traité de l’Espace de 1967

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